Lors du voyage d’étude de la promotion Paul Eluard à Marseille, a eu lieu une table ronde organisée par le groupe de travail d’élèves administrateurs sur l’égalité territoriale.
Ce groupe avait souhaité proposer une activité portant sur des problématiques spécifiques liées à ses travaux, sous la forme d’une présentation croisée d’expériences en matière de logement.
Il s’agissait d’aborder les problématiques du logement d’urgence, du relogement des publics précarisés, ou encore l’articulation entre logement et insertion (de la production de logement d’insertion à l’accompagnement des publics).
Au-delà de la présentation des champs d’intervention de chacun des acteurs et de leurs expériences sur le territoire marseillais, ont été abordées les relations partenariales entre les associations, l’Etat et les collectivités locales, au service d’une politique territoriale de réduction des inégalités dans le logement.
Enfin, un débat ouvert a eu lieu autour des projets « Euromed » (notamment en raison de son impact sur la question du logement), et « MP 2013 » (avec plusieurs contrepoints critiques sur cette année évènementielle, dans le choix des artistes, l’association des acteurs locaux ou la gouvernance du projet, ces propos n’ayant pas été repris dans la synthèse qui se concentre sur le sujet du logement).
Intervenants :
– Kader Atia, directeur de l’association Action Méditerranéenne Pour l’Insertion sociale par le Logement (AMPIL)
– Cécile Castelli, chargée de mission au service solidarités, Conseil Régional PACA
– Pierre Hanna, responsable du service logement social, Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS) des Bouches du Rhône.
Eléments de contexte et champ d’action de la DDCS en matière de logement :
Les expulsions locatives représentent 6000 assignations en justice par an. Dans 60% des cas, il s’agit de situations qui concernent le parc privé (car le niveau de dettes des locataires y est souvent plus grand que dans le parc social).
Cela donne lieu à 1700 réquisitions de la force publique. Le propriétaire assigne en justice le locataire, un huissier de justice enjoint aux résidents de quitter les lieux et si ce n’est pas le cas, il sollicite le concours de la force publique. A Marseille, ce concours est accordé difficilement, dans moins de 50% des cas (700-800/an). Sont pris en compte les critères suivants
i) Montant de la dette
ii) Reprise de paiement
iii) Suivi de mesures d’accompagnement social FSL
iv) Critères sociaux et médico-sociaux
Enfin sur les 700-800, 500 sont effectivement exécutés.
Cette phase peut durer longtemps (de 1 à 4 ans).
Le concours de la force publique est déterminé avec une date (2 mois plus tard). Il y a possibilité de sursis à exécuter en cas de fait nouveau. L’objectif est de permettre un compromis dans ce temps
Dans le département, il y a 72 000 demandes de logement social en moyenne par an :
Les demandes doivent être renouvelées tous les ans. En outre, des locataires dans des logements sociaux aimeraient aussi pouvoir évoluer, changer de logement (taille) ou de territoire.
Sur le DALO, la DDCS examine 6000 dossiers / an (250 tous les 15j), et y cible 2000 comme prioritaires.
Plusieurs critères : logement indigne, absence de logement, logement inadapté, délai anormalement long (plus de 30 mois) et expulsion locative.
Les dossiers sont examinés au sein d’une commission de médiation présidée par une personnalité qualifiée, comprend 4 collèges : Etat / CT/ associations et bailleurs.
Les deux problématiques principales sont celles des personnes dépourvues de logement, et la question de la sur occupation.
L’Etat doit reloger les ménages prioritaires sur le contingent préfectoral (25% du parc). Au bout de six mois, si le relogement n’est pas intervenu, le juge administratif est saisi et donne une injonction de reloger le ménage. Sinon l’Etat verse une astreinte vers un fonds national d’accompagnement ; il y a environ 150-180 injonctions par an dans le département.
Marseille représente 43% de la population des Bouches du Rhône mais 75% des DALO, du fait de la paupérisation de la population.
La ville comprend pourtant de nombreux logements, notamment en centre ville, ce qui marque sa spécificité. Toutefois, ces logements ne sont souvent pas adaptés aux besoins.
Exemple : un ménage seul au RSA : touche 460€ de RSA, bénéficie de 260€ d’APL. Le loyer doit être maximum de 300€. A contrario il manque aussi de grands logements (T4 et T5).
Compléments sur le contexte régional en matière de logement et champs d’intervention du Conseil Régional :
Quelques chiffres
– Région 5M habitants
– 250 000 mal-logés
– 8000 éligibles DALO
– 100 000 logements sociaux manquant.
– 2e plus faible taux de rotation du parc social en France
La région est attractive (ce qui est positif) mais de ce fait, le plan local de l’habitat (PLH) a été réalisé sur des bases incorrectes, car la population a augmenté. La pression foncière est importante à la fois du fait de cadres supérieurs qui cherchent des terrains à construire et des retraités qui font monter les prix.
Quantitativement : on ne manque pas de foncier et de logements dans la réion, il manque une priorisation sur le logement social. Peu de villes respectent la règle des 20% de la loi SRU (hormis Martigues et Aubagne).
Qualitativement : le parc social est toujours très concentré. Certes, c’est aussi lié au prix du foncier dans les quartiers sud de Marseille. Mais l’une des spécificités est la présence de nombreuses copropriétés dégradées (parc privé), ce qui rend difficile la rénovation.
Toute la difficulté de la question du logement est qu’il s’agit à la fois d’un sujet juridique, réglementaire, et en même temps qu’il touche à la dignité de la personne. Les logements vacants ne correspondent pas toujours aux aspirations des familles.
Produire une offre adaptée suppose de faire de la dentelle, au plus près des besoins des habitants. Il y a un travail sur le diffus à mener, mais les bailleurs refusent de le faire.
La région intervient au titre de sa compétence d’aménagement du territoire, c’est un choix volontariste à travers 2 volets :
– Développer l’offre adaptée
– Réhabiliter l’offre existante.
Plusieurs outils ont été développés pour cela :
– Un établissement public foncier régional
– Des interventions d’aide en direction des bailleurs et associations.
Les champs d’action de l’AMPIL :
Née en 92, l’association comprend 3 types de professionnels :
– Des juristes (le logement, c’est d’abord du droit)
– Des travailleurs sociaux (conseiller en insertion).
– Des architectes (qui notent les logements pour juger leur état : péril / indignité / insalubrité).
Les interventions de l’association sont complémentaires de l’action publique, notamment des bailleurs sociaux, en ce qu’elles consistent à « faire dans la dentelle », prenant en compte des besoins ciblés. Plusieurs types d’actions sont menées :
Le bail-réhabilitation avec un propriétaire privé :
On négocie un bail réhabilitation qui donne gestion pour 15 ans dudit logement. En contrepartie, il y a engagement à réhabiliter le logement, et à le remettre ensuite dans le circuit locatif. L’association bénéficie des aides de l’ANAH pour la réhabilitation.
BEA : 20-30 ans :
Travail avec les bailleurs dans le diffus : production ; acquisition, réhabilitation si possible avec Etat, CAF et Conseil Général.
Captation de logements (baux glissants) :
Baux signés d’abord entre l’association et le propriétaire, puis après 3 ans, le bail est « glissé » au locataire, qui est donc d’abord en sous-location puis en location.
Sécurisation des propriétaires :
Garantie la solvabilisation des locataires en échange de loyers plus faibles. Enjeu de l’idée de garantie universelle envisagée par Cécile Duflot.
« Euromed » en débat (tous les intervenants) :
Il n’y a pas de logement social dans Euromed. Le projet a fait multiplier par quatre le coût du foncier. Et en même temps, la ville a besoin d’un dynamiseur économique. L’enjeu, c’est de parvenir à un équilibre entre ces exigences, mais la balance ne penche pas du côté de la mixité sociale avec ce projet.
La question qui se pose : est-ce que le quartier va essaimer sur les quartiers voisins ? Le centre-ville de Marseille est plutôt pauvre.
Où est la Méditerranée dans ce projet ? Tout le patrimoine portuaire est détruit et le tramway ne fait pas du tout le lien entre la ville et son port. La place Joliette devant les Docks a une histoire : c’était le lieu d’embauche des Dockers. L’histoire ouvrière et celle de l’immigration ont entièrement éradiquées du projet urbain. C’est le fait d’une vision « hors-sol », celle de cadres parisiens, qui n’est pas confrontée à un vrai travail sur la mémoire des sites existants, notamment des friches.
Dans les quartiers qui ont émergé d’Euromed, il n’y aucune vie sociale.
L’effet paradoxal des opérations de renouvellement urbain :
Le problème de la pauvreté en centre-ville vient le plus souvent du parc privé avec de nombreux logements indignes, et du fait de la hausse du prix du foncier en centre-ville, ce n’est pas possible de l’acquérir pour le rénover.
Les opérations ANRU accentuent la tension (car on détruit avant de reconstruire) et les logements neufs coûtent plus chers. Malgré la signature d’une charte de mutualisation des bailleurs (entre ceux qui ont des logements détruits et ceux qui relogent) pour garder les loyers constants, ils n’y parviennent pas.
Autre problème : on a le sentiment que certains bailleurs se servent de l’ANRU pour se débarrasser de certains locataires.