Propos recueillis par François ROUSSEL-DEVAUX
1) Vous venez de présider le jury 2011 du concours d’administrateur territorial: pourquoi avoir accepté cette lourde responsabilité? Quel souvenir en garderez-vous?
En préambule, je confirme que la présidence du jury de ce concours constitue une lourde responsabilité, particulièrement chronophage : outre la correction d’un certain nombre de copies des épreuves écrites, comme tous les membres du jury, il m’a fallu consacrer deux semaines et demie aux épreuves orales. En effet, en tant que Président, j’ai animé les trois jurys d’admission: concours interne, concours externe, et troisième concours. Dans cette tâche, l’aide de mes deux vice-présidents m’a été très précieuse et je tiens d’ailleurs une nouvelle fois à les en remercier.
D’ailleurs, j’observe que les trois jurys ont remarquablement bien fonctionné, de l’avis unanime de tous leurs membres, et je garderai le souvenir d’une formidable aventure humaine qui se prolonge depuis dans des relations très cordiales : nous passions cinq jours ensemble de 6h30 du matin jusqu’à minuit, une grande complicité a régné entre nous et nous étions tous tristes de nous quitter… nous continuons même à nous téléphoner ou à échanger par mail ! Lors du tour de table de clôture, tout le monde a souligné la qualité des relations entre les membres du jury.
A l’aune de mes deux précédentes expériences comme membre du jury, je pense que la cohésion de l’équipe est essentielle et qu’elle contribue fortement à la qualité des débats, et même à l’absence d’écarts significatifs dans les notes proposées. En l’espèce, cette année, un véritable consensus sur la manière d’apprécier les candidats s’est dégagé. Deux fois sur trois, nous étions d’emblée d’accord sur les notes. Dans les autres cas, les écarts étaient peu significatifs et vite réduits.
Ces journées d’oraux étaient très denses et très riches : nous interrogions parfois jusqu’à douze candidats par jour, et malgré ce rythme soutenu, nous ne ressentions aucune lassitude grâce aux personnalités intéressantes, toujours très différentes, que nous avions en face de nous. Nous apprenions également beaucoup de choses grâce à la diversité des membres du jury, venant d’horizons très différents, et grâce évidemment aux réponses des candidats !
Alors, pourquoi avoir accepté de relever ce défi ? D’abord, j’ai dit oui en pleine connaissance de cause, et gardant un excellent souvenir du jury qu’avait présidé Olivier SCHRAMECK et dont j’étais membre, je mesurais parfaitement l’importance du rôle du Président de cette instance. C’est pourquoi j’ai beaucoup réfléchi avant le début de cette aventure sur la manière dont j’allais assurer ce rôle de président. Mais il faut reconnaître que ma décision de répondre favorablement s’est prise très spontanément : dans l’histoire de ce concours, je n’étais que le deuxième cadre territorial à occuper cette fonction, le seul précédent remontant à mon collègue Philippe MAHE, actuel Directeur Général des Services du « Grand Toulouse » ; les autres présidents ayant toujours été des fonctionnaires de l’Etat ou des Elus. De plus, compte tenu de mon attachement à l’Institut National des Etudes Territoriales de Strasbourg et de mon militantisme dans les années 1980 pour l’émergence d’une « haute » fonction publique territoriale et d’une grande école de cette même fonction publique, je ne pouvais pas refuser cette proposition.
2) Les candidats vous ont-ils semblé bien préparés? Quels conseils donneriez-vous aux candidats qui vont préparer l’édition 2012?
Ils étaient en tout cas bien organisés : Céline BLOT, l’une des responsables administratives du concours pour le Centre National de la Fonction Publique Territoriale, m’a appris que les candidats échangeaient leurs impressions sur les sujets et les questions des examinateurs quasiment en temps réel sur internet au moyen d’un forum… on n’arrête pas le progrès !
Au-delà de cette anecdote, dans l’ensemble, oui, les candidats étaient bien préparés, avec un bémol pour ceux du 3ème concours : mais par définition, pour ces derniers, le jury s’intéresse en priorité à leurs motivations, à leur parcours professionnel et à leurs expériences, plutôt qu’à des connaissances académiques.
Comme chaque année, pour le concours interne, les postulants issus la fonction publique territoriale semblaient plus à l’aise que leurs collègues de l’Etat, ce qui est logique. En revanche, pour ces derniers, nous avons eu la surprise de constater qu’environ la moitié des candidats de l’Etat étaient des professeurs agrégés, plutôt bien préparés : si je m’en réjouis pour la qualité de cette 19ème promotion de l’INET, cela me paraît beaucoup plus inquiétant pour l’éducation nationale.
Et enfin, les externes étaient dans l’ensemble très bien préparés : dans un contexte assez marqué par le formatage des Instituts d’Etudes Politiques principalement de PARIS et de BORDEAUX, le jury s’est montré sensible à quelques candidats de grande qualité sortant de l’université, ce qui rappelle qu’il existe bien plusieurs voies d’accès à ce concours.
Quels conseils donner aux candidats ? Tout d’abord, il reste important de soigner sa culture générale, en se montrant très à l’écoute de l’actualité ; et d’acquérir une culture territoriale bien marquée. Beaucoup de candidats préparent l’ENA, et passent l’INET par sécurité, ils semblaient donc logiquement mieux préparés au concours de l’ENA. A la question « avez-vous présenté le concours de l’ENA ? », les externes répondaient oui 9 fois sur 10, souvent en s’excusant, et parfois même en manquant de sincérité : « oui je me suis présenté au concours de l’ENA, mais pour m’entraîner au concours de l’INET »… Il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse à cette question, c’est la sincérité du candidat que nous nous efforcions d’évaluer : par exemple, nous avons apprécié l’authenticité d’un candidat qui nous a répondu que s’il réussissait les deux concours, ENA et INET, il suivrait une scolarité à l’ENA en raison du prestige de cette école, mais qu’il viendrait ensuite travailler en collectivité territoriale. C’est un choix de carrière discutable, mais au moins, il a formulé une réponse honnête.
D’ailleurs, pour sortir de ce traditionnel télescopage de calendrier, je vais proposer dans le rapport que doit rédiger le Président du Jury, par souci de parité, que les épreuves de l’ENA ne soient plus systématiquement organisées avant celles de l’INET et que l’alternance devienne la règle: une année l’ENA avant l’INET, et la suivante l’INET avant l’ENA, ce qui permettra aux candidats de répondre avec sincérité qu’ils ont passé l’INET pour se préparer à l’ENA ou qu’ils se sont présentés à l’ENA par défaut !
Autre conseil essentiel : effectuer un stage dans une collectivité territoriale avant de passer le concours. Cela développe bien évidemment une vraie culture territoriale et une authenticité.
Enfin, attention à ne pas négliger les épreuves techniques : une étudiante a eu la meilleure note du grand oral, 17/20, mais elle n’a pas été reçue à cause d’un 3/20 à une épreuve affectée d’un coefficient 1, l’informatique. Il lui a manqué 5 points pour être reçue, un 8/20 aurait suffi.
3) Quelles sont les qualités que vous recherchiez chez les candidats? Quelles caractéristiques pouvaient au contraire s’avérer rédhibitoires chez eux aux yeux des membres du jury?
Cette année encore les membres du jury ont considéré que les têtes « bien pleines » ne suffisaient pas : l’essentiel consiste à savoir se servir avec pertinence de ses connaissances, plutôt qu’à mettre en avant une grande étendue de connaissances. Nous étions également à la recherche de candidats sincères, faisant preuve d’une bonne intelligence des situations, de qualités de communication, n’oublions pas que ce concours constitue une sorte de « pré-recrutement » : un critère de jugement était de considérer si nous aurions eu envie ou non de recruter la candidate ou le candidat dans notre collectivité.
A l’inverse, des « bêtes à concours » brillantes intellectuellement, mais que l’on imaginait vraiment pas travailler en équipe ou au contact d’élus locaux, ont obtenu des notes modestes malgré des réponses exactes à des questions théoriques.
4) Vous allez prochainement accueillir les “Robert Schuman” à Plaine Commune, la communauté d’agglomération dont vous êtes le DGS, pour réfléchir au thème “vivre ensemble dans une ville durable”: avez-vous été surpris que cette promotion choisisse la Seine Saint Denis en ouverture de son baptême?
Franchement, j’ai été très agréablement surpris que la promotion Schuman vienne débuter la semaine de son baptême en banlieue nord ! […]
Votre promotion a fait un très bon choix en termes de formation, ainsi qu’en en termes d’image : vous apparaissez ainsi comme des hauts fonctionnaires qui veulent tout de suite s’ancrer dans la réalité des territoires, et qui ont le sens du service public. Vous venez dans un département où la demande sociale est très forte, où les services publics sont les plus attendus : vous allez vivre une expérience certainement intéressante, enrichissante et formatrice, notamment à l’occasion de vos visites de terrain en petits groupes.
5) En tant que cadre territorial, pensez-vous que les politiques publiques conduites par les collectivités territoriales parviennent à améliorer le “vivre ensemble” dans un territoire comme celui de Plaine Commune?
Le vivre ensemble, je dirais que c’est notre raison d’être. La première responsabilité du « bloc communal », c’est le vivre ensemble, qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs à certains égards le rôle des paroisses du Moyen-Âge au sens de communauté humaine. Evidemment, avec toutes les mutations sociales que nous connaissons, et dans un contexte de crise économique, le vivre ensemble devient plus difficile, et donc un enjeu plus important encore.
Pour « vivre ensemble », la première des conditions, c’est d’abord de bien vivre, et les collectivités locales jouent un rôle essentiel pour essayer d’offrir à leurs populations un environnement spacial, socio éducatif et un habitat de qualité.
Outre cette condition de base, nous disposons de leviers pour promouvoir des politiques publiques locales d’inclusion, et non pas d’exclusion, et la tâche est immense. Et dans cette perspective, la démocratie participative joue un grand rôle pour rassembler des gens, les faire échanger, discuter des problèmes, et favoriser le vivre ensemble.