Béatrice Giblin, géographe, rédactrice en chef de la revue Hérodote, et fondatrice de l’Institut français de géopolitique à l’université de Paris VIII, était à l’INET vendredi 7 novembre. Elle nous a fait part de son regard singulier, fondé sur les outils de la géopolitique, sur la réforme territoriale.
La réforme territoriale engagée par le Gouvernement vise à simplifier le « millefeuille » de notre organisation territoriale. Quel est votre regard de géographe sur cette ambition ?
Depuis la décentralisation mise en place dans les années 1980, l’antienne du millefeuille territorial structure tous les discours sur la France irréformable avec ses 36 000 communes et ses querelles de clocher si ridicules à l’heure de la mondialisation.
Peut-être est-il bon de rappeler que la dénonciation du mille-feuille territorial a d’abord été le fait de hauts fonctionnaires et de quelques universitaires, quand on est non élu il est toujours plus facile de dire ce qu’il est bon de faire. Un esprit malin pourrait y voir quelque amertume chez les hauts fonctionnaires des grands corps de l’Etat d’avoir été dépossédés d’une part de leurs compétences et donc de leurs pouvoirs. Ainsi, ils voient souvent l’élu local comme peu compétent, en tous cas moins qu’eux-mêmes, et surtout prisonnier de son électorat et donc de ce fait plus préoccupé des intérêts locaux que de l’intérêt général, qui n’est d’ailleurs pas si évident à définir.
L’embrouillaminis des innombrables découpages territoriaux qui répète-t-on à l’envi déroute le citoyen qui n’y comprend plus rien, qui ne sait qui fait quoi et surtout qui est responsable de quoi, résulte bien moins des quatre niveaux de l’organisation territoriale française, commune, département, région, Etat, très bien identifiés, mais des multiples découpages territoriaux techniques SIVOM, SCOT, PLU, ZEP, ZUS etc. que les élus eux-mêmes ont quelque difficulté à bien repérer.
De nouveau la réforme territoriale revient sur le devant de la scène : fusion et recomposition des régions, suppression des départements, rationalisation des intercommunalités. Si les citoyens ont quelque difficulté à mesurer le bien-fondé de cette réforme, c’est sans doute parce qu’avancée sous la présidence Sarkozy, puis retirée devant l’hostilité des élus surtout de gauche mais aussi de droite, elle est de nouveau à l’ordre du jour et tout paraît devoir aller très vite.
Les Régions françaises sont-elles trop petites pour s’insérer au mieux dans la mondialisation ?
On annonce un nouveau découpage des régions pour avoir de grandes régions avec cet argument jamais démontré que les grandes régions sont adaptées à l’UE. Or une comparaison avec les Etats européens voisins permet de relativiser cette affirmation. Ainsi, puisque l’Allemagne est en ce moment le modèle à imiter, il est utile de rappeler que les länder sont de tailles très variées, de la ville-état, Hambourg et Brême, à la Rhénanie-Westphalie ou la Bavière. Cependant, alors que le découpage des länder a été en partie décidé par les forces occupantes alliées au sortir de la Seconde guerre mondiale (de même que le système fédéral vu comme un garde fou à la renaissance d’un Etat centralisé sur le modèle du troisième Reich) point de remise en cause des limites des länder ni de fusion au niveau des kreise (équivalent de nos arrondissements). En Grande Bretagne non plus il ne semble pas qu’existe cette même préoccupation très française de rationaliser le territoire (quatre niveaux d’organisation territoriale et en plus très compliqués).
Existe-t-il une organisation territoriale idéale ou doit-on aller au contraire vers une organisation « à la carte » adaptée à la diversité des réalités locales ?
On peut légitimement s’interroger sur cette caractéristique française qui consiste à vouloir trouver le bon découpage, celui qui donnera aux régions leur efficacité. On peut y voir la permanence d’une vision cartésienne du territoire et d’une certaine façon jacobine à l’image de celle qui a présidé à la création des départements. On peut y voir aussi l’héritage de l’organisation régionale du territoire français des géographes de la fin du XIXème siècle qui reposait essentiellement sur les ensembles spatiaux géologiques : bassin parisien, massif armoricain, plaine d’Alsace, Vosges etc. Ces ensembles naturels bien ajustés entre eux constituaient l’hexagone national, figure géométrique équilibrée. Longtemps elles furent considérées comme étant les seules « vraies » régions.