Diplômé de lettres et de Science Po, François LEPINE est un ancien élève de l’Ecole nationale d’administration (ENA). A sa sortie de l’Ecole, il intègre le corps des administrateurs de la Ville de Paris en 1966. En 1967, est nommé sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de la Meuse Jean PAOLINI. François LEPINE a ensuite occupé différentes fonctions au sein du corps préfectoral dans plusieurs régions de France. François LEPINE a été détaché comme directeur général des services (DGS) du conseil général de Savoie, présidé par Michel BARNIER en 1982. Au sein de l’appareil gouvernemental, François LEPINE a été directeur de cabinet du secrétaire d’Etat à l’Intérieur, puis aux affaires étrangères, Pierre-Christian Taittinger, et directeur de cabinet de François Léotard, ministre de la Défense. Aujourd’hui avocat consultant en droit public, vice-président de l’association la Transalpine soutenant l’achèvement de la ligne TGV Lyon/Turin et élu local dans une petite commune du Gard, François LEPINE poursuit activement ses engagements en faveur du développement territorial.
Pourquoi avoir effectué une majeure partie de votre carrière au sein du corps préfectoral ?
Durant ma scolarité à l’ENA, j’ai effectué un stage au sein de la préfecture de Meurthe-et-Moselle. Cette expérience m’a permis de rencontrer Jean Paolini, secrétaire général de la préfecture. Cet homme m’a beaucoup appris et est resté un « père spirituel » pour moi. Mon choix pour le corps préfectoral est donc principalement motivé par l’adhésion à un homme, je crois d’ailleurs beaucoup au rôle des mentors. La proximité d’un maître est fondamentale, en peinture tout comme dans l’administration.
Quelles sont les trois étapes majeures de votre parcours ?
Si je devais retenir trois étapes charnières, je choisirais :
– Mes débuts comme collaborateur d’un préfet ;
– Mon choix de rejoindre en 1982 la Savoie, comme DGS du conseil général ;
– Mon départ du corps préfectoral pour me lancer dans l’aventure du Lyon-Turin.
Pourquoi avoir choisi de rejoindre le conseil général de Savoie ?
En 1982, Michel BARNIER devient président du conseil général à 31 ans. Je ne le connaissais pas, mais il me propose de le rejoindre. Initialement, j’avais pour projet de rejoindre le président du conseil général du Morbihan, Raymond Marcellin, comme DGS. Ce projet n’a pas abouti, c’est pourquoi j’ai finalement choisi la Savoie. J’ai été motivé par le goût du défi et de l’aventure, le véritable moteur de ma vie professionnelle.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience au conseil général de Savoie ?
Cette expérience a été très marquante. Au cours des premières années, j’ai d’abord dû gagner la confiance de Michel BARNIER, un homme politique très dynamique et polyvalent, profondément attachant. Seules deux personnes disposaient de délégations de signatures du président : le vice-président en charge des finances et le DGS. Tout l’enjeu était de faire accepter cette situation aux autres élus qui ne disposaient pas de ce pouvoir réglementaire et financier. Tout au long de mon parcours et au cours de cette expérience professionnelle, j’ai dû faire preuve de beaucoup de modestie, qualité que je crois essentielle à acquérir. Un DGS s’apparente souvent à un Cyrano : il faut constamment être à sa tâche, sans pour autant avoir le loisir d’embrasser Roxane.
Pouvez-vous nous parler de la candidature d’Albertville aux jeux olympiques d’hiver de 1992 ?
En 1982, à Val d’Isère, je rencontre le champion de ski Jean-Claude KILLY et Michel BARNIER. Nous avons évoqué des pistes pour faire mieux connaître la Savoie. L’un d’entre nous a suggéré l’idée que la Savoie puisse proposer sa candidature pour accueillir les Jeux Olympiques d’hiver de 1992. Le mot est passé à un journaliste et la suggestion initiale s’est avérée être une annonce officielle !
Pour préparer cette candidature, j’ai évité de recruter du personnel affecté à cette candidature. J’ai prélevé parmi les cadres du conseil général des femmes et des hommes capables de mener de front leurs obligations professionnelles et le travail que requérait cette candidature. Grâce à cette approche, je n’ai pas augmenté le budget de fonctionnement du conseil général. Ma tâche a aussi été de sélectionner des chefs d’entreprises pour porter la candidature et jouer le rôle d’ambassadeurs auprès des 92 membres du Comité international olympique (CIO). Il a également fallu rédiger des éléments de candidature pour construire le « livre de la candidature » qui devait être remis pour expertise, avant le vote du CIO en septembre 1986. De nombreuses actions de promotion ont aussi été conduites. Pour mener à bien cette candidature, nous avons du lever des fonds auprès d’entreprises installées en Savoie, mais aussi dans la plaine lyonnaise. Cette démarche de « fundraising » était innovante pour l’époque.
Quelle nuance faites-vous entre la fonction publique territoriale et la fonction publique d’Etat ?
Un fonctionnaire territorial n’est pas plus libre vis-à-vis de sa hiérarchie qu’un fonctionnaire de l’Etat. Le grand bonheur d’un fonctionnaire territorial qui reste assez longtemps en poste c’est de partager le bonheur d’un élu qui peut imaginer, concevoir, planter et récolter. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que les DGS doivent rester suffisamment longtemps en poste.
Pouvez-vous nous parler du chantier de la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin ?
J’ai été très investi sur ce sujet. Avant de m’y intéresser véritablement, j’étais préfet en Région Bourgogne, et devais être nommé à la Cour des Comptes. Un « chasseur de tête » est venu me rencontrer et a évoqué auprès de moi la constitution d’une société chargée de conduire ce projet. Le président devait être un Français non ingénieur, le directeur général un ingénieur italien. A la suite de cette rencontre, j’ai été nommé par le ministre des transports Jean-Claude GAYSSOT président de cette société franco-italienne. Je suis resté dix années président de cette société.
L’enjeu de ce projet est de développer une troisième traversée des Alpes qui ne soit pas routière. Au Sud il existe aujourd’hui Vintimille, au Nord le Tunnel du Mont-Blanc et le tunnel routier de Fréjus entre les deux. Le but de la ligne Lyon-Turin est de transférer sur le rail des flux routiers et de développer économiquement la région. Ce projet n’est pas allé sans soulever de nombreuses difficultés. Les autoroutes étant privées en Italie, certains gestionnaires n’ont pas nécessairement vu un intérêt au projet.
J’ai pris l’initiative d’occuper pleinement cette fonction de président. J’ai initié des actions de communication, des déplacements auprès des autorités financeurs afin de faire acte de pédagogie. Le chantier, aujourd’hui bien engagé, représente 8,7 Md€, la France étant engagée à hauteur de 2,2 Md€. Aujourd’hui, ce projet est financé à plus de 50% par l’Union européenne. Malgré les obstacles, le chantier doit se terminer en 2030, comme prévu à l’origine dans les traités.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience de directeur de cabinet du ministre de la Défense François LEOTARD ?
Avant de rejoindre le ministère de la Défense, je me trouvais être préfet de la Drôme. J’étais lié d’amitié avec François LEOTARD et je l’ai rencontré à Paris. Il m’a dit souhaiter m’engager comme directeur de cabinet.
Dans cette fonction, j’ai été chargé de diriger une équipe de 50 personnes, très hétérogène. Il fallait avec cette équipe gérer le court terme, c’est-à-dire la journée du lendemain, le moyen terme c’est-à-dire la fin de la semaine, et le long terme, le devenir des Armées françaises.
Vous qui avez travaillé dans les 2 versants, État et collectivités à un moment clé, en 1982, quel est votre avis sur les évolutions de la décentralisation ?
J’observe un décalage entre les orientations générales que peut donner un gouvernement et la réalité locale. Le zèle incontrôlé des administrations d’Etat conduit à des gabegies d’énergie, d’intelligence. Le corset administratif dans lequel nous sommes enserrés est trop important. C’est une entrave à un épanouissement des libertés locales et à un fonctionnement harmonieux et diversifié des collectivités. Je dois reconnaître que je suis pris de tristesse et d’agacement.
Quelle est votre appréciation sur la connaissance des collectivités et de leur fonctionnement par le corps préfectoral ?
Un préfet qui resterait dans son bureau serait un infirme intellectuel. Il faut palper le terrain, en dehors des contacts institutionnels. Un mauvais préfet c’est un préfet qui reste dans son bureau pour appliquer des circulaires et des instructions. Je pense qu’un préfet dois connaître les principales entreprises et les PME, tout comme le milieu agricole. L’enjeu est de saisir des occasions d’exercer son métier intelligemment.
Deux à trois ans sur un territoire pour les membres du corps préfectoral, n’est-ce pas devenu anachronique compte tenu de la complexité de la gouvernance locale ?
La gestion du corps préfectoral est encore totalement archaïque. C’est une gestion de court terme fondé sur le nécessité de « boucher un trou ». Le problème c’est qu’en bouchant des trous, des trous sont créés ailleurs.
Quel est votre regard sur le développement économique des régions de montagne, compte tenu du changement climatique ? Pourrait-on encore organiser aujourd’hui des JO d’hiver en France ?
A Val Thorens, au mois de mai, il y a encore une neige excellente. Pour les montagnes de moyenne altitude, la situation est beaucoup plus contrastée. L’enjeu actuel est donc de trouver des activités complémentaires car la neige artificielle coûte cher. Une alternative peut être le développement du VTT ou de la randonnée.
Vous évoquiez les libertés locales et la diversité des territoires. Que pensez-vous de l’évolution du fait intercommunal, notamment du rôle qu’ont pu jouer les préfets dans la définition de Schémas départementaux de coopération intercommunale (EPCI) et des contraintes fixées par le législateur aux EPCI (compétences obligatoires, etc.). N’est-ce pas là un dévoiement de l’intercommunalité qui témoigne d’une volonté de l’Etat de “tout décider” ?
Je crois que la liberté locale ce n’est pas uniquement du spontanéisme organique. Au Danemark, pour réduire les communes, une loi a été votée pour laisser les communes se marier, l’autorité étatique tranchant en cas de désaccord. Je pense que ce peut être une solution.
Le regroupement intercommunal, interdépartemental et interrégional a ses vices cachés. L’essentiel me paraît être dans les clauses de revoyure qui existent dans la loi. Les textes législatifs ont en effet prévu qu’au bout d’un certain temps des possibilités de divorce consentis peuvent exister.
Quel est le plus beau souvenir de votre carrière ?
J’ai été très heureux comme préfet de la Mayenne, mon premier poste de préfet de Région en Franche-Comté me laisse également un excellent souvenir.